Le sourire malsain que le pirate lui adressa lorsqu'elle se rendit compte de s'être fait plumée comme un vulgaire volatile lui fournit la dose suffisante d'adrénaline pour se décoller de son siège et se diriger vers lui d'un pas décidé, le regard sûr. Pour n'importe qui n'étant pas dans le métier, ce larcin aurait pu être comme tous les autres. Nous sommes dans une taverne de brigands, chacun ici tente de faire son petit business. Mais quand on volait depuis l'âge de six ans, un tel signe ne trompait pas: ce type souhaitait lui parler, et l'avait très bien cernée. Ce qui avait le don de l'énerver, elle qui avait l'habitude de cacher ses véritables intentions et de mener quiconque en bateau d'un simple sourire. Mais la jeune femme était amusée à la fois, car il était bien rare de tomber sur un " adversaire " à sa taille de nos jours, et une petite causette avec quelqu'un qui possédait un Q.I. plus haut que les trente ne lui ferait pas de mal, bien au contraire.

Même si elle refusait de se l'avouer, la conversation lui manquait cruellement. Quand elle était plus jeune, avant que ses parents ne soient sauvagement assassinés, elle était une petite fille éduquée qui possédait un très bon niveau de vocabulaire pour son âge. Avec le temps et ses fréquentations, celui-ci finit par disparaître presque complètement, pour ne refaire surface qu'en compagnie de son frère - et voilà que ce crétin partait - ou des rares personnes capables de la comprendre. Avec les autres, et même avec sa famille, elle adoptait un langage grossier et jargonnesque qui facilitait la compréhension de ses interlocuteurs. Elle ne trouvait pas ça triste. Mais quelque part, elle avait l'impression d'oublier un peu plus le visage de ses géniteurs. Eux qui s'étaient tant appliqués à faire d'elle une noble jeune fille, voilà qu'elle vivait au milieu de la crasse et des déchets de la société. Comme quoi, on n'est jamais sûr de ce qui va nous arriver.

Ce qui la poussa à aller vers le pirate? Ce n'était pas seulement le besoin de conversation, car ça, elle savait s'en passer. Mais la blonde se trouvait fort démunie, et je ne parle pas en terme de richesse, depuis le départ de son aîné. Elle avait besoin de changer d'air, de s'aventurer plus loin que les marchés des villes pour accomplir ses petits larcins. Elle espérait trouver plus loin des informations qui lui ramèneraient Rath. Et voilà qu'une occasion en or se présentait. Car elle le sentait, ce gars-là allait lui permettre de s'éloigner. Lui offrir la chance tant attendue de s'évader et de quitter le " cocon familial ", comme elle aimait le nommer. Voilà pourquoi ses jambes la menaient vers cette table au fond de la salle, et pourquoi elle se fichait bien de savoir si elle allait encore se faire détrousser ou non. De toute façon, elle ne possédait rien. Rien de propre. Rien que de l'argent sale qu'elle n'avait pas gagné. Elle était cupide, certes. Il lui en fallait toujours plus. Mais jamais elle ne s'était inquiétée de la perte d'une partie de ses biens, tout simplement parce qu'elle savait qu'ils reviendraient au bout d'une semaine.

Arrivée à la hauteur de la table, la bourse volée attachée à sa ceinture, elle s'appuya sur la table en tapant ses mains avec force sur celle-ci et planta son regard dans celui du brigand. Elle lui décocha un grand sourire mystérieux et s'adressa à lui.


« Je crois que vous êtes en possession d'un objet qui m'appartient. Mais je ne vous apprends rien, bien entendu. »


Elle jeta un regard en arrière, vers le bar, et plus précisément en direction de l'homme à qui elle avait envoyé une beigne quelques minutes auparavant.


« Je crois que vous vouliez me parler? Si vous pensez que je n'ai pas vu vos coups d'œil furtifs adressé à votre camarade là-bas, vous vous tromper. Dans le métier, mieux vaut être observateur. »


Elle décrocha la bourse et la posa sur la table, juste en face de son interlocuteur. Puis elle tira le siège qui s'offrait à elle et s'y assit, la position qu'elle avait adoptée étant assez inconfortable pour parlementer. De plus, les regards vicieux pleuvaient ici, et elle n'aurait pas voulu offrir ça à ces pourritures ivres de whisky ou d'elle ne sait quoi d'autre. Et en parlant d'alcool... Elle s'empara du verre du pirate et le porta à ses lèvres. Elle laissa couler le liquide chaud dans sa gorge jusqu'à la dernière goutte et reposa le verre bien en évidence. Et pour toute réponse au regard que son interlocuteur lui adressait, elle répondit:


« Vous me devez des joyaux volés avec soin, il me semble! »


Un sourire malicieux prit place sur son visage enfantin. Mais derrière cette apparence naïve, elle analysait tout ce qui se trouvait dans son champ de vision. D'abord, elle vérifia que l'homme était accompagné d'une seule personne, et ce fut bien le cas. Dans la taverne crasseuse, elle ne distingua personne dont le regard se perdait dans leur direction, bien trop occupés à boire et à rire bruyamment. Et aucun d'entre eux ne ressemblaient à des pirates. Ensuite, elle observa sa tenue. Tout ce qu'il possédait ne venait pas du vol. C'était bien trop clinquant et voyant pour ça. Il devait être capable de se faire sa richesse tout seul. C'était quelqu'un de malin. Capable de s'offrir des contrats et de les accomplir sans problème. Mais aussi un fin calculateur, puisqu'il avait réussi à l'attirer ici, sur cette chaise bancale, en allant simplement se chercher un verre. Elle n'avait jamais vu son visage ici. Or, elle passait assez fréquemment à Alcombord, même si elle n'y vivait pas. De passage, donc. Comme tout pirate qui se respecte, il devait séjourner régulièrement sur l'île de Kynthnos. Rath lui avait souvent parlé de cette île, car l'un de ses amis y vivait. Elle se demandait bien à quoi pouvait ressembler une île habitée seulement pas des flibustiers. La liberté totale. Pas de garde, pas de loi ni de règle, tout était régi par cette notion si simple de l'envie. Ah, quel pied! Mais elle, elle était coincée ici. A fuir le regard de la garde royale dès qu'elle en croisait les membres.

Elle continua son analyse. Si elle se souvenait bien, il parlait à une autre personne avant de s'approcher du bar. Etait-elle donc la " deuxième solution "? " La remplaçante "? Mais pour quoi, au juste? La curiosité commençait à doucement lui dévorer les entrailles.

Parle donc, pirate. La jeune femme est toute ouïe!

Victoire. Les voleurs étaient tous les mêmes, avec un peu de recul. Enfin, il n'y avait pas lieu de les dénigrer comme ça, qui sait, celle-ci pouvait se montrer comme étant une exception. Celle-ci s'avançait d'un pas déterminé alors que le sourire du pirate s'esquissait lentement sur son visage, dévoilant une bonne partie de ses noires pensées, se délectant en silence de sa petite victoire personnelle qui méritait bien une flasque de rhum supplémentaire. La jeune fille montra sa douce colère sucrée - à moins que ce soit une tentative d'intimidation, mais pour Agan, ce n'était qu'un moyen comme un autre d'avoir une vue plongeante sur son décolleté - en posant ses poings brutalement sur la table.

« Je crois que vous êtes en possession d'un objet qui m'appartient. Mais je ne vous apprends rien, bien entendu. »

Un objet qui lui appartenait ? Il jeta très rapidement un regard sur la bourse, comme pour dire "C'est de ça que tu parles ?" avant de reposer discrètement - en fait non, il se voulait pas du tout discret histoire de voir sa réaction - puis de sourire en s'imaginant un bébé qui tète des seins d'où sortent du rhum. Le rêve de tout pirate quoi, même si c'était plutôt glauque.

« Je crois que vous vouliez me parler? Si vous pensez que je n'ai pas vu vos coups d'œil furtifs adressé à votre camarade là-bas, vous vous tromper. Dans le métier, mieux vaut être observateur. »

Bien joué petite. En voilà une qui a une bonne acuité visuelle. Il changea de position, posant son coude sur la table et sa tête dessus avant de la dévisager d'une manière un peu plus digne qu'avant, façon tacite de monter qu'elle remontait dans son estime. Le langage non-verbal, ça s'apprend quand on est soumis à une Loi du Silence. Enfin il pouvait voir ses magnifiques yeux verts brillants comme des joyaux, globes oculaires devant contenir du rhum plutôt que de l'humeur vitrée pour pouvoir former un iris si joli. Après avoir réfléchi quelques secondes sur sa phrase, il répondit d'un sourire mauvais, très doucement pour qu'elle ne comprenne pas tout.

« Je crois surtout que vous vous portez d'une manière bien paladine pour un être de votre acabit, vous croyez à beaucoup de choses ... »

La voleuse décrocha la bourse avant de la poser sur la table, juste devant lui - même regard en direction de la bourse avant de revenir sur la voleuse - puis s'assied juste en face de lui, docilement, avant de vider son verre d'un air mauvais sous les yeux impuissants du pauvre petit pirate qui allait mourir de soif après une longue dépression, pleurant sa mère chaque jour et priant pour boire ne ce serait-ce qu'une seule flasque de ce liquide exquis béni de tous les monstres marins et tout le tralala. Elle finit toutefois par lui réclamer sa bourse tout mignonnement, s'attendant à qu'il la remplisse avant de la lui donner sur un plateau d'argent. Une fois parfaitement silencieuse, son regard balayant toute la taverne pour chercher Rhum ne sait quoi, le pirate d'un geste rapide, commanda deux nouveaux verres de rhum avant d'entamer sur la matière.

« Vous semblez plutôt maligne et expérimentée pour une fille de votre âge, mais vous semblez tout de même un peu trop sûre de vous. »

Il se ressaisit en se rasseyant correctement, prit le verre que la serveuse lui rapportait, puis en but une gorgée. Il ne comptait pas la bassiner avec ses histoires de lois pirates, de fausses valeurs et tout ce qui suivait, mais il comptait tout de même faire une petite mise au point rapide avant d'entrer dans le vif du sujet, comme le disait si souvent le médecin de l'équipage.

« Vous devrez vous mettre au courant sur les lois pirates au sujet du vol, pas pour les respecter, car personne ne le fait, mais il contient toutes sortes d'informations intéressantes sur comment côtoyer des pirates sans passer pour un voleur de basse qualité qui finira tôt ou tard avec les mains coupées ... Mais bon, vous avez tout à fait compris que ce n'était pas là le sujet principal de cette petite convocation. »

Le pirate reprit une seconde gorgée, jeta un œil au fond pour s'assurer que Gunnar supervisait bien les choses, puis continua :

« J'aurai une requête à vous proposer. Cela fait maintenant quelques temps que je cherche des soi-disant "Maîtres Voleurs" pour une mission de basse qualité mais ils ne semblent pas avoir cette intelligence dont vous avez fait preuve durant ce petit test. »

Il continua, d'une manière un peu plus chaleureuse :

« Oh, ne vous inquiétez pas. Rien de très difficile ... juste une connerie de mission-suicide qui met en péril une carrière de pirate en voie d'accomplissement. La prime ne m'intéresse pas, vous roulerez sur les joyaux un bon moment et vous pourrez vous payer des vêtements tout autant beaux que les miens, vu comme vous avez l'air de vous y intéresser, si vous m'aidiez à mener cette mission à bien. »

Il sourit narquoisement, observa d'un œil vif aux alentours tout en s'assurant d'avoir pu capter son attention. Ce regard d'enfant à qui on raconte une histoire merveilleuse était déjà quelque chose de positif. Mais malheureusement, elle n'était pas la seule à s'y intéresser. Parler en ces lieux s'avérerait trop dangereux. Il finit son verre, se releva doucement, puis s'approcha de la sortie où attendait Gunnar.

« Cette mission nous prendra qu'une nuit. Si faire une des plus belles choses de votre vie et vous réveiller demain matin dans un lit de joyaux vous intéresse, retrouvons-nous à l'entrée de la boutique du forgeron du quartier des Artisans de la ville, d'ici huit flasques de rhum et demi. Les murs ont des oreilles et couper les pavillons ne serait pas suffisant. »

Il avait choisi un coin pas trop lugubre pour éviter qu'elle pense à un guet-apens, il s'en voulait même de faire un rendez-vous aussi glauque, mais il ne tenait pas à ce que toute la ville soit au courant et que son plan échoue. Et si elle était si maligne que ça, ils pourraient débattre avec les autres membres de l'équipage restés en ville à qui il avait fait rendez-vous dans "huit flasques de rhum et demi". C'est à dire "le plus tôt possible si j'arrive à marcher jusqu'à l'endroit prévu". Avant de continuer à se diriger vers la sortie, il lança :

« Oh, gardez-les bourses. J'ignore à qui appartient la mienne de toute façon et je suis à un stade où cinquante joyaux de plus ou de moins ... Considérez-ça comme un trophée, peu de gens arrivent à réquisitionner une bourse à Agan sans qu'il le sache et surtout sans son consentement. »

Des regards s'écarquillèrent, venant des gens qui avaient entendu ce nom. Agan avait commencé à se faire une petite réputation dans toutes les tavernes, appréciant se faire dresser en tant que légende grâce à ses hauts-faits mais surtout à ses palmarès au jeu de celui qui boit le plus avant de régurgiter ses tripes sur le sol. Celui-ci, constatant qu'il ne marchait pas droit, sortit deux bracelets dorés d'une de ses poches, les mit sur son bras gauche pour remplacer ceux volés par la jeune femme et marcha presque parfaitement droit jusqu'à la sortie, puis lança à ceux qui avaient entendu sa précédente phrase :

« Et voilà, je suis parfaitement équilibré ; je marche droit. Les bracelets, c'est l'invention la plus géniale après le rhum. »

Approbation et rires du public, blagues de pirates bourrés jusqu'à l'os qui ne faisaient rire que ceux-ci, mais qui suffisaient à relancer l'ambiance. Ceci fait, il sortit en compagnie de Gunnar avant de traverser la ville sombre et déserte où les dernières personnes encore debout s'affairaient à rentrer chez eux du mieux possible pour décuver et se délecter d'un repos bien mérité. Quant à Agan, il se dirigeait vers le point de rendez-vous en prenant toutes sortes de détours pour éviter d'y arriver trop vite et d'être suivi, traversant moult ruelles plus ou moins sûres. Tous les pirates concernés par la quête convergeaient vers un point : Celui où Agan espérait retrouver la jeune fille.

« Je crois surtout que vous vous portez d'une manière bien paladine pour un être de votre acabit, vous croyez à beaucoup de choses ... »


D'accord, ça, elle ne savait pas trop comment elle devait le prendre. Et à voir le sourire mesquin qui se dessinait sur le visage du pirate, il en avait plutôt l'air satisfait. Se croyait-il supérieur à elle? Il n'avait l'air que d'un ivrogne, accoudé à la table, une vasque de rhum en main. Mais un ivrogne malin. Et en ça, elle devait s'en méfier comme de la peste. Elle qui vivait dans le milieu depuis si longtemps - et possédant, de très loin, d'après les histoires de son père, quelques gouttes de sang pirate -, elle savait pertinemment que fréquenter ce genre de fripouilles ne pouvait vous apporter que des ennuis si vous ne saviez pas rentrer dans leur jeu correctement. Or, ce n'était pas aisé. Pour des gens, le plus souvent, dénué d'éducation sous quelque forme que ce soit, ils avaient un sacré instinct, et leur cupidité les amenait à concevoir des plans que même les plus grands savants avaient du mal à interpréter. Cette condition mentale restait un mystère aux yeux de tous, bien que le monde entier en était au courant.


« Vous semblez plutôt maligne et expérimentée pour une fille de votre âge, mais vous semblez tout de même un peu trop sûre de vous. »


Nous y voilà donc. Elle n'était pas si sûre d'elle, au fond. C'était simplement une question de survie que de parfois se lancer tête baissée dans la gueule du loup. N'était-on pas plus en sécurité au creux de la tornade? Se montrer hésitante pouvait s'avérer fatal pour la jeune femme qui n'avait pas du tout, mais alors pas du-tout-du-tout envie de retrouver une lame profondément plantée entre ses côtes saillantes.

Ayant tiqué à l'entente de ses paroles, la blonde se tut cependant et posa un regard insistant sur son interlocuteur, l'encourageant à aller plus loin dans sa pensée.


« Vous devrez vous mettre au courant sur les lois pirates au sujet du vol, pas pour les respecter, car personne ne le fait, mais il contient toutes sortes d'informations intéressantes sur comment côtoyer des pirates sans passer pour un voleur de basse qualité qui finira tôt ou tard avec les mains coupées ... Mais bon, vous avez tout à fait compris que ce n'était pas là le sujet principal de cette petite convocation. »


Ce n'était pas dénué de sens, bien au contraire. Et maintenant que cette idée lui était soufflée, elle estimait qu'elle devrait s'en faire une affaire de premier ordre dès que celle-ci serait terminée. Pourquoi ne pas étendre son terrain de chasse aux pirates, après tout? Ils étaient sans doute les plus riches et les plus prétentieux de tous les badins qui se promenaient dans le port. De plus, ils étaient facilement repérables - il suffisait de jeter un coup d'œil à l'accoutrement de sa nouvelle rencontre, bien que les siens n'étaient pas une représentation parfaite de la discrétion non plus, avec ces couleurs chaudes gorgées de soleil.

Elle reporta son attention aux paroles de l'homme, plutôt qu'à ses fringues particulières. Et acquiesça tacitement.


« J'aurai une requête à vous proposer. »


Voilà qui en devenait autrement intéressant. Ce pirate n'était donc pas seulement capable de baratiner et de prendre les autres de haut. Il était également capable de demander... de l'aide? Non, ça, ce serait trop fort de café pour que la jeune femme puisse en croire un mot. Avec un équipage complet sous ses ordres, ce mec-là n'avait aucunement besoin de renfort. Plutôt... Plutôt de quelqu'un dont les compétences n'étaient pas présentes à bord de son rafiot.


« Cela fait maintenant quelques temps que je cherche des soi-disant "Maîtres Voleurs" pour une mission de basse qualité mais ils ne semblent pas avoir cette intelligence dont vous avez fait preuve durant ce petit test. »


Elle serra les dents.


« De basse qualité? Croyez-vous vraiment que le métier - car oui, c'est toute une fierté pour moi - de voleur soit si peu noble? Cette profession vaut sans doute tous vos stupides va-et-vient et trafics de rhum. »


Elle l'invita cependant à reprendre pourtant soudainement moins réceptive à ses paroles. Après tout, elle avait tout de même perçu un semblant de boniment dans sa bêtise.


« Oh, ne vous inquiétez pas. Rien de très difficile ... juste une connerie de mission-suicide qui met en péril une carrière de pirate en voie d'accomplissement. La prime ne m'intéresse pas, vous roulerez sur les joyaux un bon moment et vous pourrez vous payer des vêtements tout autant beaux que les miens, vu comme vous avez l'air de vous y intéresser, si vous m'aidiez à mener cette mission à bien. Cette mission nous prendra qu'une nuit. Si faire une des plus belles choses de votre vie et vous réveiller demain matin dans un lit de joyaux vous intéresse, retrouvons-nous à l'entrée de la boutique du forgeron du quartier des Artisans de la ville, d'ici huit flasques de rhum et demi. Les murs ont des oreilles et couper les pavillons ne serait pas suffisant. »


Son intérêt s'en retrouvé éveillé. De l'aventure et, surtout, de l'or. De quoi combler n'importe quel enfant de son genre. OK, elle n'était plus censée en être une, mais que voulez-vous.

L'avantage des voleurs, c'est qu'ils n'avaient pas grand-chose à perdre dans ce genre de missions-suicides. La vie, peut-être? Mais ce n'était qu'une broutille, une babiole sans valeur propre. Du moins, aux yeux des villageois et des victimes. Accoudée à la table et les yeux dans le vide - c'est fou ce que ce bouton de manchette pouvait être intéressant! -, Gilyan réfléchissait intensément à ce qu'elle venait d'ouïr. Ce genre de décision n'était certes pas à prendre à la légère, mais il se devait d'être vite fait. Pas question, donc, de se mordre le sang pendant des heures. D'ailleurs, que représentaient vraiment huit flasques de rhum et demi?! Ce type, en plus de lui proposer un marché qui paraissait en or, avait le mérite et l'avantage, aux yeux de la jeune femme, d'être intrigant. De quoi avoir envie de s'interroger un peu plus à son sujet. Puis, quoi de mieux, pour en apprendre plus sur les techniques de ces fameux pirates - dont elle n'avait que quelques notions éparses dans son crâne - que de s'immiscer dans un équipage tout entier de ces bougres?

Le capitaine de ces bougres en question se leva - non sans quelques difficultés - et lança un nom à la volée dans un baratin d'égo insignifiant. Agan? Au vu de la réaction générale, elle n'était pas la seule à en avoir entendu parler. Restons modérés: ce n'était pas une idole, non plus! Mais il avait réussit à se créer une certaine cote de popularité auprès des gens du port qui voyaient en lui comme une relève de la vieille piraterie....... Et de l'ivrognerie. Chaque gérant de bar rêvait de le voir se repaître dans sa demeure: fortune assurée!

Elle fixa ses yeux émeraudes sur lui et le jaugea. Il n'était pas tout à fait comme elle avait pu se l'imaginer. Au final, dans le cas du pirate comme dans le sien, il était toujours mieux que les gens ne sachent pas à qui ils ont affaire, n'est-ce pas? Sauf que si c'est pour le gueuler dans une taverne bondée après avoir bu un coup de trop...

Elle ne rit pas à sa blague, la mine sombre. Elle réfléchissait. D'une part, l'appât du gain exerçait sur elle une force d'attraction semblable à celle de la pesanteur. D'autre part, elle n'avait aucune idée de ce qu'il lui voulait réellement. S'il lui avait bien exposé qu'il avait un plan en tête - ou du moins l'avait-il laissé entendre -, elle ne savait pas en quoi celui-ci consistait. Autre point inquiétant; il cherchait. Il cherchait désespérément un "maître voleur", comme il l'avait nommé. Le pauvre pigeon qui serait désigné ne serait donc qu'un vulgaire bout de viande qu'on jetterait dans la gueule du loup pour s'emparer du bien le plus précieux, n'est-ce pas? Mais quelle serait la joie de la jeune femme si, au lieu de se faire berner comme une débutante, elle parvenait à retourner la situation à son avantage?

Oh, ça oui. En voilà une idée qui lui mettait l'eau à la bouche. Mais où devait-elle le retrouver, encore? Et à quelle heure, précisément? Fichus pirates.

Comme une dératée, elle se releva et empoigna les deux bourses qu'elle attacha à son ceinturon avant
de se précipiter au-dehors dans l'espoir de voir filer les ombres de son nouvel allié(?). Mais bien évidemment, il n'y avait plus un chat dans la rue.


« Je t'en donnerai, moi, des "huit flasques de rhum et demi"! », grogna-t-elle en s'élançant à son tour dans les rues désormais un peu plus sombres d'Alcombord.


Elle sillonna dans les rues jusqu'à parvenir au lieu de rendez-vous. Agan s'y tenait déjà. Elle s'avança vers lui la mine contrariée.


« La prochaine fois, vous aurez la gentillesse de me dire si vous flasques sont des minutes ou des secondes, hm? Gilyan O'Ceara. Je ne suis pas méconnue non plus dans mon domaine, malgré mon jeune âge, comme vous le disiez tout à l'heure. »


En effet, en tout cas dans cette cité et dans les cités voisines qu'elle s'amusait à visiter parfois, son nom était à peu près placardé sur tous les murs. Gilyan O'Ceara, aussi surnommé le "Ouistiti Doré", bien que personne ne sut pourquoi. Ca, elle préférait le garder au cas où elle aurait vraiment des ennuis. Pas la peine d'alerter tout le voisinage en signalant qu'elle est une changeling.

Elle se planta devant le pirate, un petit air fier ornant son visage d'enfant qui avait grandi trop vite. Non, vraiment, elle non plus elle ne se prenait pas pour de la m.... C'était même plutôt l'extrême inverse. Faut dire qu'elle avait de quoi se vanter, tout de même... Et gare à celui qui osait prétendre le contraire!


« Donc, je vous ai suivi. Cela fait peut-être de moi la pire imbécile que vous n'ayez jamais rencontré. Maaaaaaaais puisque je suis une éternelle curieuse et, surtout, une jeune femme avide de sensations - ne vous méprenez pas, vous êtes mignon mais sans plus - et de richesses, j'accepte votre offre sans même savoir de quoi elle retourne. »


Elle pencha légèrement la tête sur le côté.


« Et de quoi en retourne-t-il, exactement? Non pas que je ne vous fasse pas confiance - en fait, si, c'est un peu le cas - mais un homme averti en vaut deux. Dans mon cas, et vu ma petitesse, une Gilyan avertie en vaut une complète. Alors j'aimerais bien être au courant de vos manigances. »


Se désintéressant soudain du capitaine, elle lorgna les matelots qui l'entouraient. A part le second, qu'elle avait déjà remarqué à la taverne, tous semblaient étonnés de voir une femme de son gabarit se pointer dans le coin et se la jouer avec le boss. Leurs sourires moqueurs s'étendaient à l'infini sur leurs lèvres gonflées d'alcool. Elle qui avait cru les pirates charismatiques en toutes circonstances - elle savait que c'était le cas de ses ancêtres - elle était bien déçue par ceux qu'elle apercevait.


« J'ai une saleté sur le visage, peut-être? », elle pointa celui qui était le plus proche d'eux et qu'elle avait frôlé en arrivant du doigt « Au cas où tu ne l'aurais pas remarqué, toi, tu viens d'être dépossédé de cinq bracelets et d'une boucle d'oreille. »


Le pirate vérifia et parut déconcerté. Au moins, elle n'aurait plus de problème avec sa crédibilité, le message était passé.

Pivotant de nouveau pour faire face à son "patron de courte durée", elle le questionna du regard tout en jouant avec les bracelets qu'elle venait de chiper.