Alcombord. Winthe en avait souvent entendue parler avant, pourtant c’était la première fois qu’elle venait ici. La première fois qu’elle voyait la mer également. Quand elle s’était arrêtée devant cette grande étendue d’eau, ses yeux s’étaient mis à pétiller. Instinctivement, elle avait eu envie d’aller dessus et c’est pour ça qu’elle se trouvait actuellement sur un navire dont elle n’avait pas saisie l’utilité, s’invitant simplement à son bord après avoir discuté avec un type se faisant appeler « capitaine ». Ou encore « Le Maître de ce splendide navire pouvant parcourir toutes les mers ». Elle n’avait pas osé dire que vu l’état de ce rafiot, il ne risquait pas de survivre à la moindre tempête. Dire la vérité ne lui aurait pas permis de partir en mer, ce qu’elle voulait éviter. Certes, elle avait beau être ignorante sur le domaine maritime, mais elle s’était un minimum renseigné avant, comprenant que quand une tempête se levait en mer c’était beaucoup plus dangereux que sur la terre. Elle n’avait pas demandé à en savoir plus. La jeune femme voulait simplement profité de ces quelques heures sur ces planches de bois pour se reposer et connaître cette sensation que d’être sur l’eau. Et l’aventure avait plutôt mal commencé lorsque Receswinthe ressentit une sorte de malaise en grimpant à bord. A croire qu’il ne fallait pas qu’elle sorte en mer ce jour-là, qu’elle reporte l’expédition ultérieurement. Faisant fi de ce sentiment qui la prenait aux entrailles, elle s’installa sur le bastingage, appréciant avec une certaine joie la sensation du vent sur son visage.

Tout semblait parfait, jusqu’à ce qu’elle perçoive une certaine agitation au sein du bateau. Indifférente au départ, la curiosité prit rapidement le dessus et Winthe quitta son coin, se dirigeant droit vers le capitaine qui parlait avec d’autres personnes.

- Qu’est-ce qui se passe ?

D’abord surprit, il la détailla des pieds à la tête, croisant ses yeux avant de se tordre les doigts d’un geste nerveux. La jeune femme arcqua un sourcil, prête reformuler sa question pour qu’elle paraisse moins polie et qu’il lui réponde enfin. Mais l’homme ne lui laissa pas le temps, désignant d’un signe de tête l’autre côté du navire.

- Nous allons avoir de la visite ma p’tite dame. Si j’peux me permettre, il serait mieux que vous rentriez à l’intérieur.

Un sourire quelque peu ironique sur le visage, Winthe se tourna et s’approcha du bord, cherchant ce qui était la cause de tout ce cirque. Là, pas si loin de leur position, se tenait un autre navire, plus étrange encore que celui sur lequel elle était. Et bizarrement, même si elle ne le montrait pas, elle n’avait pas l’impression que cette visite serait une visite de courtoisie.

A croire qu’elle ne pouvait plus prendre une simple journée de « repos » tranquillement. La tranquillité qu’elle avait ressentie quelques instants plus tôt sur ce navire s’était envolée, laissant place à une agitation, une panique même, palpable. Les marins couraient d’un côté à l’autre du navire, de la proue à la poupe, suivant les ordres du capitaine qui pourtant n’en menait pas large. Le regard de Receswinthe s’attarda sur ce bateau de mauvais augure. Son instinct avait eu raison, ce jour n’était pas le bon jour pour naviguer. Winthe se sentait quelque peu dépassée. En général, si les ennuis se faisaient sentir, elle fuyait ou prenait le problème à bras le corps, toute seule. Là, aucunes des deux options n’étaient possibles. La noiraude fronça les sourcils. Le navire sur lequel elle était en train de tourner, semblant vouloir couper la route de l’autre. Tout se passa ensuite très vite. Des bruits semblables au tonnerre, le navire qui tremble, des cris, voir même des hurlements. Receswinthe s’était éloignée du bord, se rapprochant du mât pour avoir de quoi se soutenir, se sentir plus sereine. Le capitaine avait disparus, plus personne ne faisait attention à elle. Un autre tremblement, plus important encore que les autres, se fit sentir lorsque le navire adverse fut tout près. Receswinthe s’accroupit, ses mains tenant fermement le mât. Un bref instant elle ferma les yeux, avant de les rouvrir et de se redresser d’un coup, pestant contre elle-même. Elle avait montré un instant de faiblesse, redevenant quelque peu la gamine d’autrefois. Un homme la bouscula et elle faillit lui dire le fond de sa pensée lorsque son regard s’attarda sur son sabre, la stoppant net. Cette journée paisible allait se finir en bataille sanglante ? C’était à croire qu’elle ne faisait que ça : attirer le sang, même si elle ne cherchait pas à le faire couler au départ. Pourtant, un léger sourire éclaira son visage, tandis que les hommes couraient dans tous les sens, s’approvisionnant en armes. Là, elle entrait dans son élément : le meurtre.

Winthe attrapa ses dagues, tandis que des marins étrangers investissaient le pont, égorgeant les marchands avec un sang-froid qui pourrait horrifier le premier venu. La noiraude fronça les sourcils, tandis qu’un adversaire sembla s’intéresser à elle et venait à sa rencontre. Calmement, elle le laissa s’approcher, esquivant ses grosses mains lorsqu’il tenta de l’attraper avant de frapper. Un coup qu’il para avec une certaine aisance. Serrant les dents, elle esquiva un coup de poing qui l’aurait envoyé valdingué un peu plus loin s’il l’avait touché. Décidemment, elle n’aimait pas les combats comme ça. Elle retenta de le toucher, grimaçant lorsqu’il attrapa son poignet. De sa main libre, elle frappa avec sa dague le poignet adverse, se libérant par la même occasion. Le regard tantôt lubrique était devenu hargneux et l’espace d’un instant Receswinthe regretta son geste lorsqu’il lui offrit un coup lui coupant le souffle. Une légère grimace sur le visage, elle le regarda s’approcher avant que quelqu’un ne le déséquilibre, lui offrant une ouverture qui lui permit de le tuer sans dégâts supplémentaires. Winthe leva les yeux vers celui l’ayant aidé, reconnaissant le capitaine qui lui fit simplement un signe de tête, lui montrant la porte menant aux cabines. La noiraude secoua alors la tête négativement et partit, cherchant du regard celui qu’elle jugeait être responsable de tout ceci, de cette journée gâchée. Et quand elle vit un homme avec plus de prestance que les autres, elle sût instinctivement que c’était lui. Ses yeux, d’un rouge plus foncé qu’à l’accoutumé, brillèrent d’une lueur de colère avant qu’elle ne fonce vers lui, l’attaquant de dos avec un simple but : le tuer.

La prochaine fois, elle s’abstiendrait de prendre la mer. Après tout, une attaque dès la première sortie sur les flots avait de quoi en faire rechigner plus d’un pour recommencer ensuite. Si tant est si bien qu’elle s’en sortait, bien entendu. Mais mourir ici n’était pas dans son programme, loin de là. Après tout, elle avait encore de l’argent à amasser, des âmes à faucher, des rencontres à faire. Des choses bien plus joyeuses que le spectacle auquel elle assistait contre son plein gré. Un feu s’était déclaré, se propageant à bonne vitesse, ne laissant le temps à personne de penser à éteindre cet incendie qui signait la fin du voyage pour le navire. Après tout, qui pourrait penser ceci ? Elle ne voyait que des cadavres, des hommes en train de se battre. Vraiment, personne ne prêtait attention au fait que le navire s’apprêtait à couler. Les uns se battaient pour survivre, les autres pour le plaisir de tuer, d’endeuiller des familles. Ces derniers étaient un peu comme elle après tout, sauf qu’ils n’avaient pas les mêmes méthodes, le même code que la jeune femme s’imposait. Receswinthe marchait d’un pas lent, faisant attention à l’endroit où elle mettait ses pieds, contournant les derniers combats engagés. La noiraude n’avait pas envie de se battre contre ces sous-fifres. Déjà qu’elle n’était pas des plus dangereuses au corps-à-corps, combattre chaque type étranger au navire qu’elle croisait risquait de la fatiguer avant qu’elle n’atteigne son objectif : le responsable de ce massacre. Le vaincre pourrait baisser le moral des troupes et leur permettre de prendre l’avantage. Un désir bien utopique.

Elle en était là dans ses pensées, quand une silhouette arriva dans son champ de vision. Par réflexe, Winthe se décala fortement vers la gauche, manquant de trébucher sur un cadavre au sol. Ecarquillant les yeux de surprise, elle vit un corps lui passer tout près, comme s’il avait été jeté intentionnellement. Et sa surprise ne fut que plus grande lorsqu’elle remarqua l’habit de ce projectile humain. C’était le capitaine, celui qui l’avait aidé, qui lui avait permis de terminer son adversaire. Le pauvre bougre s’était fait avoir. Serrant les dents, ainsi que sa poigne autour de ses dagues, elle releva ses yeux vers la personne la plus proche du cadavre. Lui, son objectif, celui qu’elle cherchait à rejoindre depuis qu’elle avait quitté le vieil homme.

Ce capitaine inconnu la regardait, sortant ses sabres sans plus de cérémonie. Avait-il peur de ses dagues ? Winthe retint une grimace. Un vague coup d’œil autour d’elle lui apprit qu’il n’y avait pas âme qui vive aux alentours. C’était déjà fini ? Quelques bruits de pas décroissants, partiellement cachés par le crépitement du feu, lui apprirent que l’on s’éloignait d’elle et de cet homme. Un combat singulier ? Ironiquement, il lui semblait ne pas avoir la moindre chance. Son pouvoir pourrait être utile, mais risqué. Après tout, si elle se téléportait dans un lieu rongé par les flammes, cela ne l’amenait pas à grand-chose. Et la jeune femme était trop loin des côtes pour espérer rentrer à bon port comme ça. La prise de parole de l’inconnu la sortit de ses pensées d’une manière assez brusque. Un léger froncement de sourcils de la part de Winthe accompagna sa voix. Certes, il avait raison, elle n’était pas à sa place sur ce navire, mais ce n’était pas une raison pour donner l’impression de la prendre de haut. Rien qu’avec une seule phrase il avait réussi à l’agacer. La noiraude s’apprêtait à répliquer vertement lorsque l’inconnu abaissa son bras, laissant une sorte d’onde se diriger droit vers elle. Stupéfaite, son premier réflexe fut de vouloir contrer cette attaque, avant de comprendre que cela ne serait que vain. Le cadavre du capitaine fut l’exemple même du fait qu’elle serait impuissante vis-à-vis de cette onde proprement terrifiante. Fronçant les sourcils, elle visualisa l’emplacement derrière l’individu, se téléportant ainsi afin d’esquiver cette attaque meurtrière. Située à une distance raisonnable, elle se remit en position d’attaque, prenant la parole à son tour.

- Vous venez de gâcher ma première sortie en mer. Pourquoi avoir attaqué le navire ? Pour l’argent ? Autant le faire sur terre, c’est beaucoup plus simple et rentable que s’attaquer à un rafiot de ce genre.

Elle fléchit ses jambes, se préparant à bondir pour l’attaquer ou même, pour esquiver. Une dague devant elle, l’autre derrière, Winthe se préparait à viser des points stratégiques du corps adverse. Après tout, elle voulait le faire souffrir avant de le tuer. Pourtant, une dernière question lui brûlait les lèvres.

- Qui êtes-vous ?

Il suffisait maintenant qu’il réponde pour qu’elle engage vraiment le combat pendant le court laps de temps qui restait à ce navire de fortune.