Je devais bien avouer avoir eu la lâcheté de raviser mes précédentes réflexions sur l’alcool à l’instant même où ma prétendue sœur avait saisi son verre, puis bien vite la bouteille, pour en siphonner son contenu avec une effrayante efficacité ; cependant, il n’en restait pas moins le fait qu’elle était bien forcée d’assumer les conséquences de son acte, bien indépendamment de ma volonté. Peut-être le méritait-elle… Peut-être était elle aussi un peu jeune pour en connaître les dangers. Un sourire ironique aurait bien étiré mes lèvres, si j’en avais eu envie : je n’étais pas le mieux placé pour traiter de ce genre de choses ; tant d’expériences avaient bouleversé ma prime jeunesse, tant d’horreur et d’abominations, qu’elles semblaient avoir eu un effet cathartique. Et s’il m’était arrivé de faire preuve de violents accès de rage, il ne restait pas moins en moi une volonté inébranlable, un credo inexpugnable que je m’étais juré, bien naïvement peut-être, de ne jamais briser, de ne pas y transgresser : pas d’alcool, pas de drogues, pas de religion, pas de routine, pas d’oisiveté. Cela relevait du domaine de l’élémentaire, et malgré cela j’aurais souhaité que l’on m’achève si j’eusse tombé dans une de ces bassesses.
A peine le soleil avait commencé à filtrer à travers la vitre que je m’étais soudain vu tirer de mes somnolences. Le petit matin n’était là que depuis quelques couples de minutes et je n’avais dormi que d’un sommeil profond pendant moins d’une heure, pourtant, déjà, la forme m’avait envahi, le frisson de l’action qui m’appelait. Rester inactif n’était pas trop dans mes habitudes, lorsque j’étais de bonne humeur, du moins, sans quoi il m’était arrivé moult fois de m’allonger au sol et de fixer le plafond pendant d’entières demi-journées, mais là n’était pas le sujet.
Je me redressai un instant afin de m’adosser de manière plus confortable au mur qui se trouvait sous la fenêtre. Mes pieds tendus devant moi étaient illuminés par les rayons dorés qui dépassaient du dessus de ma tête. Je pris un instant pour détailler le mobilier de la pièce, mais m’en lassai vite : il était si spartiate que cela m’avait pris moins d’une dizaine de secondes. Et comme j’étais déjà allé chercher le déjeuner et que j’avais englouti ma part auparavant, il ne me restait plus qu’à attendre qu’Aaku ne veuille bien s’éveiller.
« [/size]Prends le grimoire qui est dans mon sac, s’il te plait, Samuel… Je ne sais pas ce qu’il s’est passé hier, mais j’ai vraiment l’impression que je vais mourir »
Elle me tira soudain de mes rêveries, elle, cette jeune femme au teint plus vitreux qu’une vieille vitrine de verre sale.
Sans rien ajouter, je me levai, un petit sourire en coin. Elle ne semblait pas connaître les effets de l’alcool, semblait-il, alors qu’elle en avait englouti d’inconsidérées quantités la veille ; et désormais, elle recherchait dans les livres ce que bien des jeunes adolescents apprenaient à la dure. Quelque chose me disait qu’hormis dans des livres religieux qui en chantaient les méfaits, elle n’allait rien trouver sur l’alcool ; nul n’avait envie de conter les effets d’un breuvage que tous connaissaient. J’obéis donc, m’en allant quérir son dit grimoire.
« Aaku… » Dis-je en lui tendant son précieux ouvrage.
« Tu ne trouveras rien là-dedans à ce sujet. »
Cela sembla presque l’en étonner. Cherchait-elle vraiment à tout comprendre par les traces écrites ? Certes, je l’avais fait un temps, mais c’était bien parce que je ne pouvais faire autrement ; on aurait dit ici que son livre était son unique source fiable.
« Tu as bu, hier. J’espère que tu te souviens au moins de cela. »
Je marquai un temps d’arrêt.
« Et lorsqu’on boit, le lendemain, on ne se sent pas bien. Et vu les quantités de rhum que tu as absorbées… »
« Les gens appellent cela… Avoir la gueule de bois. » Je souris.