Eären parcourait les fourrés de cette forêt. Il devait avouer que malgré l’atmosphère parfois pesante qui pouvait y régner, il aimait bien l’endroit. La nuit y régnait. Bien qu’il aime se déplacer à la lumière, Eären aimait également la nuit. Surtout en forêt. Tout y prenait une autre dimension. Bien qu’il puisse bien y voir, l’éclairage était sensiblement différent du jour, et il aimait cela. La teinte de couleur était plus harmonieuse, les couleurs plus froides. Certes des couleurs froides et plus ou moins uniformes ne valent pas forcément mieux que des couleurs chaudes et variées, mais depuis toujours, il aimait l’atmosphère ainsi créée par la teinte de couleurs que prend la nature lorsque la nuit drapait le monde.
Il en allait de même pour la vie de nuit. Bien différente de celle du jour, cela allait de soi. Plus d’insectes, sans aucun doute. Moins d’animaux aussi. En cela, les races civilisées se rapprochaient des simples animaux. Il était amusé de constater le point auquel les  races se prétendant plus intelligentes que les animaux avaient parfois une conduite semblable. Pourquoi nier totalement le moindre instinct animal, quand les faits prouvent le contraire ? Et puis quand bien même, pourquoi ne pas faire l’expérience de se promener, de nuit ?
Cette forêt, ou ce jardin puisque tel était son nom après tout, prouvait bien que cela pouvait être très intéressant. Certes, il y avait une certaine atmosphère pesante. Mais somme toute, cette atmosphère contribuait à rendre l’endroit ... étrangement apaisant. C’était bien paradoxal, mais elle contribuait à ce calme mystérieux de la nuit. Cette uniformité des couleurs, cette différence dans les sons, tout cela était inconnu du jour. Et cette atmosphère pensante, cette sensation que quelque chose se passait mais on ne savait pas quoi… un peu de mystère pour agrémenter le tableau.
Tout cela faisait qu’il se sentait bien dans cette forêt. Il ignorait s’il était le seul à avoir cette sensation, ou si celle-ci était plus répandue qu’il n’aurait pu le croire, mais en tous cas, il aimait y être, et il aimait y être seul. Il s’y sentait serein. Peu de gens venaient l’y déranger, et il ne cherchait à  y déranger personne.

Et il marchait ainsi. Ce n’était rien de plus qu’une simple promenade à ses yeux. Il avait pris uniquement son épée avant de s’y rendre, n’estimant pas avoir besoin du reste de son équipement, à la fois trop encombrant et trop bruyant. Et puis garder une armure sur soit pendant des heures forgeait certes les muscles, mais ce n’était pas vraiment la meilleure des idées possibles. Quant à son épée, il l’aimait bien, et c’était tout ce qui comptait. Ici, il devait se sentir bien.

Puis le charme fut rompu.
Au détour d’un chemin, le hasard le fit assister à une scène qui mit tous les instincts guerriers de l’elfe en éveil. Comme tous ceux de sa race, il n’aimait pas vraiment la violence, mais là il allait être obligé d’en user. Un loup, ici, tentant de dévorer un enfant elfique. Il n’avait pas le temps de réfléchir. Pas le temps de songer à la possible présence d’autres bêtes. Pas le temps pour quoi que ce soit. Chaque instant comptait. Et déjà, Thornberry était dans sa main. Et déjà, il se mettait à courir. Il savait que la bête aurait sans doute fini son œuvre macabre avant qu’il n’arrive, et pourtant, il ne pouvait s’empêcher d’espérer que peut-être pourrait-il faire quelque chose. Instinctivement, il cria à l’enfant de s’écarter de ce loup. Cri futile, car après tout, il n’avait aucune chance de lui échapper à présent. Mais peut-être ferait-il peur à la bête, ou obtiendrait-il d’elle assez d’attention pour qu’elle se désintéresse de l’enfant et s’intéresse à lui. Ce serait déjà en soi une victoire.

Les doigts fins de l'elfe atteingirent enfin la lame. Ils se refermèrent sur le metal froid et glissant du à la salive et au fin filet de sang de l'animal...le pauvre, comment s'était-il retrouvé avec une dague prise entre les crocs? Peut-etre ces bandits qui avaient eut la malchance de croiser leur chemin quelque jours plus tôt ? Mais alors...son précieux compagnon était-il souffrant depuis ?

Eären compris très vite son erreur. Le loup n’avait pas essayé de tuer l’adolescent, mais il devait être un animal apprivoisé. Et lui avait tranquillement essayé de le tuer par erreur. Avant de répondre à l’adolescent, il prit son temps pour soupirer de soulagement intérieurement. Heureusement que les pouvoirs du jeu elfe avaient paralysé la bête. Car de son erreur aurait pu découler un drame, dont il n’osait imaginer les conséquences. Il savait en revanche qu’il se sentirait coupable pour le restant de ses jours. Mais heureusement cela n’était pas arrivé. Le drame avait été évité, et tout le monde était sain et sauf.
« Blessé ? Non, nous n’avons pas eu le temps d’en venir à faire couler le sang, ton animal et moi. Heureusement à ce que je vois. »
Et il le pensait vraiment, il était sincèrement soulagé que cela se soit fini ainsi et pas autrement. Mais c’est alors que, passé ce soulagement, il réalisa l’ambiguïté de ses propos. Les elfes s’ouvraient aisément à la magie, il le savait, mais à son âge, cet adolescent aurait déjà assez de pouvoir pour dresser une bête de cette taille-là ? Soit il se passait un phénomène magique qui échappait totalement à la compréhension du chevalier, soit le jeune elfe était l’un des futurs mages les plus prometteurs depuis bien longtemps.
Il réalisa alors qu’il avait toujours Thornberry en main. Il rengaina tranquillement son épée. Une ultime crainte de faire une bêtise lui souffla que peut-être l’adolescent n’avait-il fait que semblant de calmer le loup, mais il la chassa d’une pensée. Il était concentré sur un autre problème, plus une curiosité à vrai dire.
« Puis-je te poser une question indiscrète ? demanda-t-il. »
Il avait l’intention de lui demander ce qu’il en était réellement de ses pouvoirs. Mais toutefois, il comprenait que l’adolescent n’ait pas forcément envie de répondre à cette question.

Le jeune elfe souffla de soulagement à la réponse de l'elfe puis caressa doucement la truffe de la bête qui, malgré son regard aveugle, le rivait droit sur l'inconnu. Une douleur lui rongeait les côtes du au mouvement brusque du loup,qui plutôt, l'ayant frappé de son museau par accident. Un accident qui malgré tout, s'averait etre un bien joli coup lui ayant un moment coupé le souffle. Seulement, malgré la douleur, l'elfe à l'allure d'un jeune adolescent restait bien droit, visage doux , sans aucune trace de souffrance.