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Être en ronde dans la plus grande ville marchande du continent, ça creuse ! Je venais de terminer la deuxième volaille de mon glorieux repas, attaquant hâtivement les dernières pommes de terre et terminant ma chope de bière d’une seule gorgée. Cela faisait déjà plusieurs heures que je traînai dans cette taverne, le chat gris boiteux, et il était temps de reprendre le service… En partant, je n’avais pas oublié de charmer la ravissante serveuse et de laisser un joli pourboire à sa mère, une femme très souriante, tenant ce charmant endroit.

Dans les rues d’Alcombord, le nombre d’individus semblait avoir doublé par rapport à ce matin. Au risque de paraître pour un insociable, je préfère de loin cette ville la nuit, quand il n’y a pas un chat… Même si mon imposante carrure et mon équipement de combat étaient impressionnants pour ces braves gens, cela ne m’aidait pas vraiment à me frayer un chemin dans toute cette foule. J’avançais à l’allure d’un vieillard, faisant trois pas toute les dix minutes… J’ignore combien de temps cette grotesque comédie dura. En passant une main à mon menton, j’avais l’impression que ma barbe, rasée ce matin-même, avait déjà repoussait…

J’ai toujours cette impression et ce sentiment que la ville et tous ses habitants avaient monté un complot contre moi ce jour-là. Alors que j’avançai tant bien que mal, un homme m’avait bousculé par mégarde, s’excusant aussitôt d’un signe de la main. A peine ce dernier s’était éloigné, qu’une femme transportant de longues tiges d’acier avait failli me percer un œil, visiblement trop pressée pour prendre la peine de m’adresser ne serait-ce qu’un regard. J’avais voulu la rattraper pour lui dire quelques mots mais, deux enfants jouant à chat se mirent subitement à tourner autour de moi, me coupant la route. Ils jouèrent ainsi pendant cinq bonnes minutes, hurlant à plein poumons et éclatant d’un rire franc que je trouvais cruellement moqueur dans ma situation. Décidément, j’avais vraiment hâte d’avoir des enfants… Soulignons l’ironie. Peu après que les enfants aient disparus dans la masse humaine de la foule, une deuxième bousculade eut raison de ma patience. J'éclatai de colère, le visage cramoisi.

- « Morbleu, vous ne savez pas faire deux pas sans vous arrêtez pour prendre la température ?! »

Je m’étais senti relativement pitoyable quand les passants, après m’avoir jetés un regard surpris et apeurés, s’écartèrent volontiers de ma route… Pourquoi n’avais-je pas explosé plus tôt ?! Plusieurs heures s’écoulèrent sans que quiconque ne ralentissent ma progression ou ne se dresse sur mon chemin, comme si ils s’étaient tous passer le message. J’avais même eu le droit au luxe d’approcher les étals de marchandises sans que quiconque ne gêne ma vision. Ma colère comme lointaine, j’avais fait quelques petites commissions, dont des fruits étranges et colorés venant de loin, quelques friandises roses très douces sous la dent ainsi qu’une très jolie bague féminine, au cas où un jour, j’aurai à me faire pardonner au prêt d’une demoiselle… Et croyez moi, ça arrive plus souvent qu’on ne le pense !

Un autre étal avait attiré mon attention, affichant une multitude d’armes en tout genre. En m’approchant d’avantage, j’avais remarqué que certaines lames venaient d'autres royaumes, reconnaissant les sabres d’Hagor par leur forme presque arrondie, les épées à deux mains d’Utguard de par leur taille massive ainsi que divers dagues, provenant de tous les coins et recoins du continent. Un véritable régal pour les yeux experts d'un guerrier tel que moi. Je m'étais attardé sur un poignard particulièrement amusant, la garde étant décorée d’ours aux formes arrondies, avant d'avoir la surprise d'apercevoir à mon côté, une petite fille haute comme trois pommes… Bon sang, s'intéresser aux armes à son âge... Et où pouvaient bien être ses parents ? En observant d’avantage cette enfant, j'eus peut-être le premier instinct paternel de ma vie… Ma main gantelée d’acier s’était subitement refermé sur la lame d’un poignard, avec lequel la pauvresse s'amuser à l'aide de ses petits doigts !

- « Ma parole, j'hallucine ! Tu ne devrais pas jouer avec ça, ce genre de chose coupe, tu sais !? » la grondai-je en prenant une voix que je voulais autoritaire.

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Il fallait bien l’avouer, cette petite avait un visage d’ange. Des yeux clairs et purs, un sourire innocent et le rire cristallin n’appartenant qu’aux enfants. Néanmoins, n’aimant pas particulièrement les mômes et n’ayant aucune patience avec ces derniers, je prenais son rire pour moqueur et fronça les sourcils d’un air lassé. J’étais un chevalier, pas une baby-sitter… Le rire de la petite s’était stoppé aussi vite qu’il était venu et elle me répondit en me regardant droit dans les yeux, loin d’être l’image d’un enfant qu’on aurait surpris en pleine bêtise… Non, c’était une réaction que je jugeai de responsable, comme si elle savait très bien ce qu’elle faisait avant que je ne l’interrompre en lui confisquant la dague.

- « Pensez-vous vraiment que je puisse me couper ? ... » demanda-t-elle dans un sourire.

Pour illustrer ses mots, elle me présenta son bras, entièrement fait d’un étrange métal et animé par je-ne-sais quelle science ou magie… Sapristi, je ne m’attendais vraiment pas à ça ! A tel point, je ne n’avais jusque-là pas remarqué. Un instant, l’idée que c’était peut-être juste une sorte de protection m’avait effleuré l’esprit mais, à chaque mouvement de sa curieuse main, un petit son métallique me confirma que je me trompai. Comment une aussi jeune enfant pouvait-elle avoir perdu un bras et, d’où provenait cet incroyable bras de remplacement ? Je connaissais bien de riches soldats qui cèderaient sans hésiter une grande partie de leurs terres si cela leur permettaient de récupérer un membre perdu lors d’une bataille, même si ce membre n’était que froideur et métal. Devant ma mine stupéfaite, ma bouche ouverte et mon regard ahuri, l’enfant semblait amusé.

- « ...Monseigneur le Commandant des Chevaliers d'Asunia ? » continua-t-elle.

Il n’était guère très étonnant qu’elle ait deviné mon statut, je portai une cape, symbole de seigneurie et d’autorité, et sur mon armure, l’emblème d’Asunia y était aggravé en couleur d’or. Néanmoins, il n’était pas donné à tout le monde de m’identifier au premier coup d’œil, pas sans avoir remarqué l’énorme épée attachée en mon dos, la 9K, l’arme légendaire des Windsor. Cette petite m’intriguait… Elle ne devait pas avoir plus d’une dizaine de printemps et pourtant, elle conversait et se comporter comme une… adulte ? Si j’avais déjà eu vent d’enfants surdoués et de talents, notamment ceux pris sous l’aile de l’école de magie de Lotheican, je n’en avais encore jamais croisé et, je ne m'attendais pas à en faire la rencontre en dehors de la capitale de la magie… Même si je n'avais aucune preuve qu'elle soit réellement un de ces enfants, j'en étais persuadé, cette petite brillait d'une intelligence exceptionnelle.

- « En effet, je suis le commandant de l’ordre des Chevaliers d’Asunia, le chevalier Seyren Windsor XIIème du nom. » me présentai-je en homme courtois. – « Et toi… Qui es-tu ? Où sont tes parents ? Pourquoi t’intéresses-tu à des armes ? » la questionnai-je en plissant les yeux, l’air grave. - « Une enfant de ton âge, ne devrait pas se trouver seule ici, devant un marchand d'armes... »

Je venais alors à peine de remarquer la présence qu'une étrange créature, semblable à un énorme sanglier, qu'on aurait encore du mal à qualifier de vivant, se tenant juste derrière l'enfant, m'observant avec curiosité. Ma parole, c'était la journée des rencontres curieuses aujourd'hui ou quoi ?

La petite se nommée Lenaïa Isargard, fille d’un défunt chevalier. J’avais bon me répéter le nom d’Isargard en boucle dans ma tête, ce nom ne me disait rien… Du moins, pour ce qui était de l’ordre des chevaliers d’Asunia, que je connaissais tous personnellement. J’avais l’impression d’avoir fait une bêtise en faisant mention de parents à cette gamine qui, de toute évidence, devait être orpheline… J’étais particulièrement bien placé pour connaître chaque parcelle de la douleur que causait le souvenir de parents perdus, en particulier quand quelqu’un nous obligeait à dévoiler la vérité, étant moi-même était un orphelin. Je me retrouvai victime de mes propres mots, gêné en imaginant le tort que j’avais pu causer à la jeune enfant… Quel beau et séduisant imbécile je faisais ! Mais, en observant le joli minois de Lenaïa à deux reprises, je me demandai sincèrement si je lui en avais infligé. Cette petite semblait restée impassible quelle que soit la conversation et sa tournure. Et, je ne parle même pas du fait qu’un seigneur et guerrier comme interlocuteur ne la dérangeait absolument pas.

- « Oh, euh... Pourquoi je m'intéresse aux armes ? » se questionna-t-elle avant de fouiller dans un livre ancien qu’elle transportée. - « En vérité, il y a sur cet ancien ouvrage, une lame qui a attiré mon attention... » expliqua la jeune fille tout en tournant les pages.

Si j’avais au début pris son intérêt pour les armes comme une dangereuse curiosité dû à son jeune âge, j’étais maintenant persuadé qu’elle ne s’intéressait pas juste à tout ce qui coupe. Non, Lenaïa Isargard n’était pas une enfant comme les autres et, j’ignorai à quel point elle ne l’était pas…

- « Regardez ! Vous n'avez jamais vu une chose pareille ? » demanda la jeune fille dans un sourire enthousiaste. – « On dirait une... lame secrète, cachée sous la manche avec un dispositif très particulier... » décrit-elle avec intérêt.

J’observai un instant le croquis sur la page jaunie avec un enthousiaste que je tentais de dissimuler, ce qui fut un bel échec, j’étais comme un enfant devant sa friandise préférée, laissant mon regard curieux explorait chaque détails du croquis, cherchant à le comprendre dans sa totalité. Au bout de quelques secondes à peine, il n’avait plus de secret pour moi. A vrai dire, ce n’était pas la première fois que je voyais ce type de lames. Un flot de souvenirs retraçant une bataille dans le désert brûlant du royaume des sables me revient subitement en mémoire.

- « Les assassins d’Hagor utilisent ce type d’armes. Ils dissimulent soigneusement le mécanisme sous un vêtement à manches longues et, une fois proches de leurs cibles, la surprend mortellement en la poignardant ! J’ai d’ailleurs encore une belle cicatrice laissée par l’un d’eux, sur le ventre…» commençai-je avec ardent avant de réaliser que je parlais à une enfant d’environs dix printemps… - « Et nous vécûmes tous heureux… » tentai-je bêtement pour me rattraper. – « Mais, t’es bien trop jeune pour ça ! De plus, tu n’en trouveras probablement pas ici, cette arme n’est jamais exposée à la vue de tous. Elle perdrait de son efficacité et de sa surprise si c’était le cas. »

Enfin, je savais fort bien qu’il y en avait probablement dans ce fameux marché noir d’Alcombord mais, non seulement une enfant aurait tôt fait d’être dévoré comme un vulgaire morceau de viande dans cet endroit malsain mais de plus, j’ignorai où il se terrait… Cela faisait bien des années que les représentants de l’ordre, moi comprit, étions à la recherche de ce lieu aux milles rumeurs, toutes plus abominables et dégoutantes les unes que les autres. Le marché noir était un nid à gibiers de potence.

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